Sortir du cadre ~ Un art de vivre

Bénédicte M
6 min readNov 26, 2022

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Photo by Artem Beliaikin on Unsplash

Cela a toujours été pour moi un jeu. Je regarde en arrière et me rends compte que j’ai toujours voulu élargir le champ des possibles. Pousser les limites de ma zone de confort pour explorer la zone de challenge, parfois en me mettant même dans la zone de risque.

Et à chaque sortie de cadre, l’étendue de ma réalité a augmenté. Derrière l’inconnu et les peurs, des cadeaux et une zone de jeu plus vaste se sont dessinés.

Pour sortir du cadre, j’ai toutefois dû d’abord comprendre qu’il y en avait un.

Je me souviens de ma première sortie de cadre conscientisée.

J’avais 15 ans. J’étais en colonie de vacances en Grèce. J’avais raté le rendez-vous de ralliement après une soirée libre sur une île des Cyclades. Je flirtais sur la plage avec un bel italien et n’avais pas vu l’heure tourner. Je profitais du moment présent, sans me soucier des impératifs. En réalisant notre retard, nous avions couru pour attraper le bus. A l’arrivée, seul Maklouf, le directeur de mon camp, nous attendait. Le regard farouche, l’haleine imbibée d’alcool et le ton sec, il avait dessiné dans le vide un rectangle imaginaire et m’avait clairement dit : “là Bénédicte, il y a le cadre, et” — dessinant avec le doigt un petit trait en dehors — “toi, tu es sortie du cadre”.

Cela m’avait valu une punition et la menace d’un rapatriement anticipé. En l’occurrence, je n’avais pas respecté les règles communes à la faveur d’une aventure personnelle, rien de bien brave ni valeureux. Cet épisode m’avait toutefois permis d’identifier ce fameux cadre, d’en prendre conscience. Notre réalité se limitait donc à une étendue fermée par une ligne imaginaire tracée dans le vide. Je crois que ce Maklouf avait attisé en moi le feu de dépasser les contraintes, barrières, limitations et d’explorer au-delà de cette ligne.

Quelques années plus tard, je me suis de nouveau confrontée à ce fameux cadre.

J’étais en prépa commerciale dans un lycée parisien. C’était déjà une très grande sortie de cadre en soi pour moi, fille de facteur ayant grandi dans un village de 3600 habitants perdu en sud Mayenne. Nous nous préparions pour les oraux des concours d’entrée en école de commerce. Je répondais sincèrement aux questions du jury : “faites-vous du sport ?”. Moi de répondre naïvement “oui j’ai fait du tennis en compétition pendant longtemps mais j’ai arrêté” (sans préciser que j’étais bien plus intéressée à 15 ans par les sorties en boîte de nuit le samedi soir que par les compétitions régionales du dimanche matin bien sûr, j’étais peut-être naïve mais pas kamikaze tout de même). Au debrief post entretien où j’avais dû avoir 11/20, le jury — 2 jeunes diplômés en costard cravate — m’expliquent qu’il y a un moule auquel se conformer et que je devrais plutôt mentir pour rentrer dans ce moule que dire la vérité, en me conseillant sans vergogne “dites que vous avez continué le tennis, c’est mieux”.

J’ai mis des mois à comprendre que c’étaient les pires conseils : ils m’invitaient à essayer de rentrer dans un costume qui n’était pas le mien. D’ailleurs, mettre un tailleur pour ces entretiens était pour moi comme me déguiser. Cela ne me correspondait pas, ne faisait pas partie de mes codes, de ma réalité, de mon cadre. Dans mon monde, celui de la classe moyenne rurale, les hommes portent des costumes pour les enterrements ou mariages mais les femmes jamais de tailleur. Hors de mon cadre, je ne me sentais pas à ma place et c’est tout à fait ce que j’avais ressenti pendant certains entretiens à HEC ou à l’ESCP par exemple, alors qu’à l’ESSEC à l’époque, j’avais l’impression d’une plus grande ouverture à la diversité des profils et d’une valorisation des parcours atypiques. J’ai depuis toujours privilégié les milieux où la pluralité des individus est considérée comme une richesse plutôt que la recherche d’uniformité, de conformité pour renforcer le sentiment d’appartenance.

Ces deux épisodes anecdotiques ont nourri en moi cette partie qui se moque des codes, des normes, des règles, pour laisser place à la version libre, créative et en expansion de mon être.

J’ai cultivé au fil de mes expériences cet amour pour le pas de côté.

Vivre à l’étranger, sortir du salariat, déménager à la campagne, porter des couleurs vives… Autant d’aventures qui ont forgé en moi cette conviction : sortir du cadre c’est jouer le jeu de la vie pleinement, autant que je peux l’autoriser. C’est un art de vivre, le point commun de beaucoup de mes expériences et décisions. Et dieu que c’est bon !

2 caveats tout de même :

  1. Nos cadres sont influencés par notre époque.
    Je suis consciente que la plupart de mes sorties de cadre ne sont que le reflet de mon écoute des besoins de notre époque. Je me laisse porter par le vent qui souffle et nous invite à une nouvelle humanité, à de nouveaux modes de vie. Comme je l’ai appris à l’Institut des Futurs Souhaitables avec Michael Dandrieux : nous sommes traversés par notre époque et nos choix sont le reflet des besoins du moment. Et somme toute, cela est rassurant. Cela n’enlève en rien le courage nécessaire pour réaliser chacun de ces pas de côté. Ainsi commencer le yoga, la méditation ou manger vegan par exemple montrent un mouvement d’évolution, d’expansion, en résonance avec le monde tout simplement.
  2. Chacun son cadre. Pour certains nomades, se sédentariser est le mouvement le plus courageux et difficile quand pour des sédentaires tout lâcher et partir voyager est le pas le plus osé et audacieux du moment. Pour des artistes libres de toute contrainte, signer un contrat juteux au service d’un client est hors norme, tout comme envisager un CDI peut paraître aliénant quand certains n’attendent que ce graal. Nous vivons chacun une expérience unique et singulière, nous vivons dans notre bulle, notre réalité, avec nos paires de lunettes à nous, marquées par la somme de nos aventures passées, par notre éducation, le vécu de notre petite enfance, par l’héritage de nos lignées et des égrégors sociétaux auxquels on appartient ainsi que, si l’on y croit, par notre karma et les précédents voyages de notre âme ici-bas.
Photo by Guillaume Bleyer on Unsplash

Voici donc un fil rouge qui m’a guidée au fil des années et que je suis heureuse de partager avec vous ici.

Il y a tellement de matière pour moi que j’aurais certainement de quoi remplir un livre. Aurais-je le courage de sortir de ma zone de confort et de réaliser ce rêve ? Voilà plusieurs années que je le porte et me confronte à de nombreuses croyances limitantes.

Oui j’ai encore des petites voix en moi qui expriment leurs peurs, qui me freinent. Oui je me limite parfois en bridant mes élans. Oui je vis encore dans un cadre. J’essaie donc d’en toucher les contours, d’en saisir les parois, et d’ouvrir les portes autant que faire se peut, chaque fois que mon cœur me dit de m’aventurer un peu plus loin hors de ma zone de confort.. Et surtout, je m’engage ici et maintenant à me laisser guider par mon cœur et non plus par mes peurs. Que ces sorties de cadre deviennent mon art de vivre et contribuent à me permettre d’apprécier, savourer, goûter tous les choix, moments, mouvements à l’intérieur du cadre aussi. Ainsi soit-il.

Et toi qui lis ces quelques lignes, quelles sont tes sorties de cadre mémorables ? Quelles portes souhaites-tu ouvrir pour élargir ton champ des possibles et suivre les appels de ton cœur ?

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Bénédicte M

Life kiffer. Healthy x tasty food fan — Yogini — Animated by positive thinking & loving kindness.